Background
« Ah, le voilà qui ouvre les yeux ! Comment vous sentez-vous, jeune homme ? »La lumière trop froide des néons. Je plisse les yeux.
« Je… Pas très bien. » Ma bouche est pâteuse. Un goût infect emplit ma gorge.
« Après ce que tu viens de vivre, c’est normal ! Mais dis-moi, comment t’appelles-tu ? » Ils sont deux. Portent des blouses blanches.
« Je… Je ne sais pas. » J’ai l’air piteux. J’ai beau chercher, je n’arrive pas à retrouver quel est mon nom…
« Tu ne te souviens pas de comment tu t’appelles ? » Je me renfrogne. Plus j’essaie de savoir, plus je sens que ça m’échappe.
« Yamato, laissez-le. Vous voyez bien qu’il a subi un traumatisme. » « Donc vous aviez raison. Ses facultés cérébrales ont été atteintes. » « Cela semble plus que probable. Reste maintenant à savoir si la mémoire va lui revenir. » Ils ne font déjà plus attention à moi. Une once de fierté jaillit du fond de mon esprit. Je crie presque. J’ai besoin de l’attention de quelqu’un.
« Qui êtes-vous ? Et qu’est-ce que je fais là ? Répondez ! » Ils me regardent, échangent un regard. Visiblement ils s’attendent à une réaction comme la mienne. Cela m’écœure.
« Répondez ! » Le plus âgé des deux ôte ses lunettes, les essuie avec le bas de sa blouse. Se voyant abandonné, l’autre se décide à répondre.
« Calmez-vous, jeune homme. Nous allons tout vous expliquer. » Pourquoi s’obstinent-ils à m’appeler jeune homme, alors qu’ils savent très bien que je m’appelle… Que mon nom est… Mon nom est… Ah pourquoi ça ne me revient pas !?
« Vous vous trouvez actuellement dans une clinique. Vous avez été hospitalisé après votre accident. » « Un accident ? » « Oui, un accident. Nous sommes les médecins chargés de veiller sur vous jusqu’à ce que vous soyez sur pieds. » Je n’aime pas leur air condescendant. Ils puent la certitude.
« De quel accident parlez-vous ? Je ne me souviens de rien ! » Le médecin grisonnant a fini d’astiquer ses lorgnons. Il voit que la conversation est sous contrôle, et ose s’en mêler à présent qu’il ne risque plus rien.
« Le choc traumatique vous a causé une perte de la mémoire. Mais ne vous inquiétez pas, il est probable que ce soit temporaire. » Son ton calme. Il ne risque rien, lui !
L’autre reprend.
« Quoi qu’il en soit, vous étiez dans le car touristique quand il s’est fait attaquer, sur les berges du port de Tokyo. » « Un car touristique !? » « Oui, pourtant vous n’êtes pas un touriste, cela est déroutant. » « Mais l’important n’est pas cela. Selon les survivants qui ont été témoins de l’attaque, plusieurs voitures ont dépassé le car, tandis que leurs occupants faisaient feu. » « Comment… » « La car a fini dans la baie. Beaucoup de ses occupants ont trouvé la mort. Les secours vous ont trouvé à demi noyé. Vous avez reçu deux balles dans le flanc. » « J’ai reçu… »Ma main vole vers mon torse. Un bandeau l’enserre.
« Mais vous êtes désormais hors de danger, ne vous inquiétez pas. » « Vous avez perdu beaucoup de sang, mais vous êtes résistant. Vous serez bientôt sur pied. » « Cependant il y a ce problème de perte de mémoire. Mais avec le temps je suis sûr que cela s’arrangera également. » Ils en parlent avec un tel détachement…
« Mais quelle est la raison… » « Pourquoi on a attaqué le car ? Je n’en sais rien. Sans doute un groupe terroriste. Il y en a tant de nos jours. Ah ces extrémistes ! » « Mais qui d’autre… » « Vous n’êtes pas le seul à avoir été recueilli dans cette clinique. Vous avez toutefois eu la malchance d’avoir reçu ces balles. Aucune autre personne n’a été touchée. Les tirs étaient dirigés contre le car, pas ses occupants. » « Mais ceux qui sont morts… » « Le sont à cause du choc de l’accident, ou suite à une noyade. Quand on vous dit qu’il faut mettre les ceintures… » « Mais qui donc… » « Nous n’en savons rien. Une enquête est en cours. Mais je suppose qu’il s’agit soit de terroristes, soit d’une bande de Yakusas. Il n’y a pas encore eu de revendication. Et les vitres des voitures étaient fumées, bien entendu. » Des Yakusas… Cela sonne faux. Des terroristes ? Encore plus. Mais ils n’en diront rien. Ils se contentent de ces sornettes.
Et pourquoi moi ? Des balles perdues, cela sembe risible. J'ai un physique typiquement japonais, alors un car de touristes…
Quelque chose cloche.
« Bien. Nous reviendrons voir comment vous vous sentez dans un moment. Profitez de ce temps pour vous reposer. » Trop de questions dans ma tête. Pas assez de réponses. Qui suis-je ? …
Mais le sommeil finit par m’emporter…
Lorsque je me réveille, le plus jeune des deux médecins est là. Je ne fais que suivre ses instructions. Fait certains gestes, lui dit lorsque cela tire, ou fait mal. Il parle d’assouplissements. La séance dure une heure trente. À la fin je me sens las. Mais j’ai gagné en souplesse, et je n’ai pratiquement plus mal.
Les jours suivants, rien ne change. Parfois le vieux médecin vient me questionner, cherchant à voir si mes souvenirs reviennent. Mais rien ne filtre. Je ne sais ni comment je m’appelle, ni d’où je viens, ni qui sont mes parents.
Seizième jour. Je me sens au mieux de ma forme. Je suis complètement guéri. Ils ne veulent toutefois pas me laisser sortir. Je suis décidément prisonnier !
Je réussis à maîtriser le médecin qui vient me donner à manger. Je revêts ses habits, pour avoir une chance de sortir de là.
Au détour d’un couloir, je surprends une conversation. La porte d’un bureau est restée entrouverte. Cela me concerne !
D’après ce que je comprends, je ne figure pas dans les registres nationaux, que ce soit dans le recensement ou autre. On ignore tout de qui je suis.
Cela m’intrigue, mais le plus urgent est de s’évader.
À cette heure, la clinique est presque vide. Je n’ai aucun mal à me glisser jusqu’à une sortie de secours, située au deuxième étage. Je descend discrètement les escaliers. Une fois dehors, je laisse par terre la blouse. Je garde les papiers du médecin. Cela peut servir. Je fais mien le liquide qu’il contient.
Et là, je ne sais plus trop quoi faire. L’idée de m’évader semble bonne, mais pour aller où ? Je n’ai nulle part où aller. Du moins dont je me souvienne. Les buildings jettent une ombre sinistre sur la nuit qui m'entoure.
Je ne sais plus qui je suis, ni quel âge j’ai, qui sont mes parents, mes amis, si même j’en ai. Je n’ai que quelques milliers de yen, pas de carte d’identité. Je n’existe pour ainsi dire pas.
Mais une chose résonne clairement dans ma tête : ici, dans ce pays, dans cette ville, je suis en danger…